Ella Bergmann-Michel et Robert Michel sont deux artistes allemands avant-gardistes, nés respectivement en 1895 et 1897 et mariés à Weimar en 1919. Ces artistes ont tenu une place primordiale au cœur de la sphère abstracto-socialo-futuriste allemande dès le début des années 1920. Leur importance réside autant dans la modernité et l’impériosité de leurs propres créations, que dans le rôle de rassembleurs des avant-gardes européennes – Kurt Schwitters, László Moholy-Nagy, Willi Baumeister, El Lissitzky, Johannes Molzahn, Mart Stam et Ilse Bing pour ne citer que leurs amis les plus proches – qu’ils jouèrent dans la région de Francfort. Originaire de cette région, Robert Michel se passionne très jeune pour l’aéronautique. Pilote d’essai, il subit un grave accident d’avion en 1916. A sa rémission, il s’inscrit à l’École Grand-ducale des Beaux-Arts de Saxe, où il fait la connaissance d’Ella Bergmann, venue à Weimar dans le but d’étudier la musique, mais l’École Grand-ducale est une des deux seules écoles d’art plastique de l’Empire qui soit ouverte aux jeunes filles à l’époque et Ella s’y précipite. Ella et Robert créent avec Johannes Molzahn la section Dada de Weimar. Ils dessinent des créatures mécano-morphes, futuristes et inquiétantes puis passent très vite à l’abstraction. Dès son ouverture, ils s’inscrivent au Bauhaus dans l’atelier de Johannes Itten qu’ils considèrent rapidement trop doctrinaire, et quittent l’école rapidement
Dès leur départ de Weimar et leur installation dans le moulin familial « die Schmelz » près de Francfort, Ella Bergmann et Robert Michel étendent le champ de leur activité qui prend un tour plus politique. Ella fait de la photographie et ses films sur les laissés pour compte de la République de Weimar – vendeurs à la sauvette et chômeurs – appellent le spectateur à contribuer de quelques Pfennig à l’organisation des soupes populaires. Robert a alors une activité d’architecte et de graphiste publicitaire. La famille Schwitters vient fréquemment passer des vacances chez les « Michelmanns », chez qui, ou autour de qui, se créent également plusieurs groupement artistiques progressistes. Ils sont notamment membres fondateurs du projet moderniste Das Neue Frankfurt, qui, sous la direction d’Ernst May, fit de la ville de Francfort un laboratoire urbanistique, architectural et social remarquablement réussi.
Déclarés artistes dégénérés
L’arrivée au pouvoir du parti Nazi signe l’arrêt de toutes les activités du couple. Classés artistes dégénérés, ils sont interdits d’exposition et de toute forme de création. Robert cesse tout travail intellectuel, se consacre à la pisciculture et invente un procédé de pêche électrique. Ella rédige nuitamment un journal dans lequel elle évoque la surveillance dont elle fait l’objet et les difficultés de subsistance d’une famille d’intellectuels. Elle dessine très peu, en toute clandestinité, et élève poules et lapins angora pour subvenir à leurs besoins.
Le progrès à tout prix
Dans l’Allemagne en ruine de l’après-guerre, Ella et Robert, tous deux issus de familles bourgeoises se trouvent dans un grand dénuement qui pousse même Schwitters à demander à Katherine S Dreyer dans une lettre émouvante, d’envoyer une paire de chaussures pour la lle du couple en compensation d’une œuvre d’Ella exposée à Yale et qui ne lui a jamais été payée.
Ella a perdu une grande partie de ses dessins de jeunesse dans le bombardement de sa maison familiale de Paderborn et les deux frères de Robert sont morts. Malgré l’adversité, Ella et Robert reprennent lentement leurs œuvres respectives et continuent à les faire aller de l’avant. Pour Ella dans la direction de l’art Informel dans les années 1950, puis de l’Op art dès le début des années 1960, pour Robert dans l’invention de nouvelles formes inspirées de la conquête spatiale puis dans un remploi obsessionnel de ses œuvres antérieures.
Une œuvre en permanente évolution
D’une génération plus jeune que Kandinsky, d’une vingtaine d’années de moins que Klee, Ella et Robert, ont très vite assimilé toutes les dernières recherches effectuées en art plastique par leurs prédécesseurs. Tour à tour et à toute vitesse expressionnistes, futuristes, dadaïstes, constructivistes voire puristes et en n créateurs de collages abstraits avant même Kurt Schwitters, ils subliment dans leur œuvre graphique tous les progrès issus de la Grande Guerre, et dénoncent en même temps (notamment Ella au travers de ses films) la misère croissante dans la République de Weimar. Robert transcende en dessin sa passion pour la mécanique, alors qu’Ella, portée vers les sciences naturelles et la physique réalise dès 1925 des collages abstraits à base de pièces de papier découpées dans des ouvrages sur la théorie de la décomposition de la lumière.
Les moyens techniques qu’ils emploient tous les deux le plus fréquemment – l’encre sur un papier technique – sont analogues, mais si l’on parle bien ici d’un couple d’artistes, et s’ils ont effectivement promu ensemble la modernité et combattu conjointement durant toute leur vie le bon goût bourgeois, leurs œuvres ne sont pas réalisées à quatre mains et il est indispensable de bien différencier les travaux d’Ella de ceux de Robert. Le progrès à bras le corps, c’est la formule qui évoque au mieux leur essentiel dénominateur commun : l’énergie qu’ils n’ont cessé de déployer ensemble, corps et âme, au travers de leur art au service d’une modernité sociale et progressiste. Le progrès à bras le corps aurait pu être le mot d’ordre de toute leur vie.
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