La Galerie Eric Mouchet est heureuse de présenter latent_breath_(), quatrième exposition personnelle de l’artiste français Pierre Gaignard et première exposition solo au sein de son espace bruxellois.
L’univers de Pierre Gaignard est une aventure intellectuelle et sensorielle, une traversée entre art, technologie et poésie où chaque œuvre devient le prolongement d’une recherche en mouvement. À travers son œuvre, l’artiste interroge la matière, le langage et la mémoire — et par là, notre manière même de percevoir le monde. Entrer dans l’atelier de Pierre, c’est pénétrer dans un monde parallèle, en constante expansion. Sa capacité à « inventer » semble sans limites : elle naît d’une curiosité insatiable, d’une propension naturelle à la recherche, qui le pousse à questionner, déconstruire, réinventer. Le processus d’exploration devient pour lui un espace d’expérimentation féconde, où la genèse d’une idée en engendre d’autres, nourrissant sans cesse son œuvre — infinie, mouvante, ouverte.
Notre lien commun avec Rome – ma ville natale et la sienne d’adoption pendant une longue période – a sans doute contribué à renforcer notre complicité, à la fois professionnelle et amicale. C’est à Rome, en 2023, qu’il proposa, pour une exposition que je lui avais confiée, une œuvre singulière : un amaro réalisé à partir de plantes récoltées le long du Tibre. Une création qui incarnait à merveille sa démarche : chez lui, le geste, le processus et l’œuvre achevée appartiennent à la même essence poétique.
Tout le travail de Pierre Gaignard explore la relation entre passé et présent, à travers des dispositifs mêlant gestes artisanaux, mécanismes et outils numériques. À l’aide de l’intelligence artificielle, il déconstruit et recompose des formes cachées qu’il révèle par la lumière, le son ou la matière, engageant dans ce processus à la fois son propre corps et celui du spectateur. Les titres de ses œuvres jouent aussi un rôle fondamental. Ils naissent d’une intuition rythmique, d’une musicalité propre à la langue. Dans Griza:j Hypermat’, la phonétique définit la pulsation du titre ; dans latent_breath_(), la ponctuation s’inspire du code Python, marquant symboliquement le début d’un nouveau cycle de création. Le langage est chez lui un territoire d’expérimentation : il en interroge l’évolution, la syntaxe, la ponctuation — qu’il détourne jusqu’à leur conférer une dimension plastique et sonore.
Pour Griza:j Hypermat’, l’artiste s’inspire de la lithophanie, technique emblématique du XIXe siècle consistant à modeler des images dans une porcelaine translucide, visibles uniquement par rétroéclairage. Pierre Gaignard en propose une réinterprétation contemporaine grâce à l’impression 3D, transformant les caches de néons industriels en surfaces sculptées. Entre disparition et persistance, les images hybrides qu’il crée, issues de modèles botaniques anciens générés par IA, évoquent les décors grotesques — une thématique que j’ai également eu le plaisir d’explorer à ses côtés. Ces images, à la fois précaires et puissantes, deviennent des figures de connaissance, des images dialectiques au sens benjaminien : elles captent la tension entre passé et présent, entre mémoire et invention, où un détail soudain éclaire une nouvelle lecture du réel.
latent_breath_() — œuvre éponyme de l’exposition — prolonge cette recherche. Les images, générées par intelligence artificielle pour un bref instant, sont saisies par l’artiste avant de disparaître, figées dans la matière de la lithophanie puis révélées par un dispositif lumineux semblable à un négatoscope. Ces images fugitives, rendues visibles par l’intuition et le geste de l’artiste, rappellent, selon les mots de Georges Didi-Huberman à propos des moulages de Rodin, que : « Ce n’est plus le substitut d’un référent absent, mais un mouvement substituant, un travail figural de la substitution qui ne cesse de s’engendrer lui-même. » [1]
De même, Bestiaire Paramétrique, développé lors d’une récente résidence aux États-Unis, explore les formes stylisées d’une faune hybride, imprimée en 3D et peinte. Ces créatures, à la fois fragiles et inventées, traduisent la tension entre la disparition du vivant et la surabondance de ses images dans nos sociétés consuméristes. Dans une approche animiste, presque chamanique, Pierre Gaignard donne souffle à ces sculptures totémiques, réconciliant nature et culture, visible et invisible.
Entre recherche, expérimentation et low tech, les œuvres de Pierre Gaignard transforment les matériaux existants en objets de pensée et de poésie. Elles ouvrent un espace où l’esthétique rencontre la mémoire, où la technologie devient matière sensible, où la lumière éclaire non seulement la forme, mais aussi le regard que nous portons sur le monde.
Isabella Vitale
[1] Georges Didi-Huberman, La ressemblance par contact. Essai sur l’art, la mémoire et l’oubli, Minuit, Paris, 2008, p. 45
PLUS D’INFORMATIONS :
// Pierre Gaignard
// Dossier de presse
// latent_breath() (13/11/25-10/01/26 | Bruxelles)
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