Le paysage a dominé la scène photographique du milieu des années 70 jusqu’au début des années 2000. Puis son succès s’est érodé. Au delà de l’usure du genre, à quoi bon parcourir le monde s’il est à notre disposition sur un écran ? Pourquoi photographier un lieu mille fois photographié et dont un moteur de recherches nous donnera cent vues ?
Le paysage demeure essentiel. En témoignent notamment l’abondante littérature académique qui lui a été consacrée ces dernières années ou le Landmark de Bill Ewing publié par Thames et Hudson l’année passée. Reste peut-être à lui trouver un langage en adéquation avec les changements technologiques qui se jouent ici et maintenant et qui remodèlent notre relation à l’espace. Les trois photographes présentés dans l’exposition Eléments y répondent chacun à sa façon mais ont tous en commun de mettre en péril le référent de leurs photographies, se positionnant dès lors face aux ruptures ontologiques à l’œuvre dans notre rapport à l’image et au monde.
Mathieu Bernard-Reymond interrompt le calcul d’un logiciel de fabrication de paysages en 3D, rendant les artefacts (polygones) transitoires manifestes et constitutifs de ses photographies. L’artifice et totalement flagrant mais l’effet de réel n’est pas annulé. On est comme chahuté par le pouvoir formel et abstractif de ses images et leur capacité à rendre, tout de même, quelque-chose de presque reconnaissable. Il y a surtout une grande force poétique qui émane de ces photographies : le monde est là mais on n’arrive pas à l’attraper.
Benoît Vollmer recompose des paysages alpins à partir de centaines de clichés. Il a le souci de la vraisemblance mais met cette dernière en péril. Les tirages sont d’une extrême précision mais l’horizon semble renversé et l’on se perd à essayer de saisir la cohérence de la représentation. L’œil est amené à errer sur ces grandes images. Le paysage devient le lieu d’une recherche plastique, une matière brute façonnée et qui devient tableaux.
Enfin, Benoît Jeannet constitue un index fallacieux mais apparemment crédible des formes élémentaires du paysage, certaines d’entre elles étant fabriquées en studio, d’autres réellement réalisées en divers points du globe. Il souligne lui aussi la fragilité du référent et déconstruit les fantasmes encyclopédiques de classification en les parodiant. S’il est dans l’air du temps parce qu’il cultive le goût du méta, qu’il critique le flux ininterrompu des images qui nous atteignent, il demeure classique car c’est bien à l’aune de concepts comme le beau ou le sublime que ses photographies prennent tout leur sens.
L’exposition nous confronte toutefois à des paysages, identifiables immédiatement comme tels. Comme s’il y avait une résistance du genre. Mais ici, on ne remplit pas les photos de sens par l’entremise d’un discours sociologique, urbanistique ou géographique. C’est bien plutôt l’interrogation, essentielle, de notre rapport intuitif à ce qui vient du dehors qui est activée. Et nous dépayse…
Matthieu Gafsou
Du 24 Octobre au 28 Novembre 2015
Expositions