L’idée d’associer deux artistes dans une même exposition peut naître de l’intuition d’un simple individu, et de cette confrontation peuvent jaillir de nouvelles idées, de nouvelles sensations et de nouveaux regards. C’est ce qui est à l’œuvre avec cette nouvelle exposition, qui associe les jeunes artistes Amine Habki et Silina Syan dans leur duo show : Noor Reflections [1].
Si l’équipe de la Galerie Eric Mouchet a souhaité, montrer leurs travaux conjointement, ce n’est pas dans un esprit d’assimilation qui regrouperait des chemins créatifs semblables. Mais plutôt dans une volonté de mettre en exergue d’importants glissements dans les représentations classiques des corps et des genres dans la création émergente, tels qu’iels s’en font les fier•es représentant•es.
Lors de nos échanges à propos de ce projet, les deux artistes nous ont relaté des points de convergences au sein même de leurs œuvres. Une certaine idée de transparence traversée de lumière. Qu’importe d’ailleurs, la matière utilisée pour créer, qu‘elle soit dure ou molle, translucide ou opaque, c’est plutôt cette notion de réflexion intellectuelle, à partir de symboles utilisés ou projetés, qui fait le liant de cette exposition à deux voix.
Le travail de Silina Syan est empreint d’une culture polysémique héritée de ses parents, une maman arménienne et un papa bangladeshi. Son travail concentre de nombreuses références à un monde musulman où les récits collectifs croisent les mythologies personnelles et se retrouvent matérialisés dans des œuvres où la parure devient la pièce d’une armure caractéristique d’une identité personnelle. Loin des stéréotypes sur les femmes orientales, Silina Syan use des images de l’apparat et de la féminité consumériste, pour en ornementer des devantures de garage en fer ou des rideaux de bouchers en lames de plastique.
Les créations d’Amine Habki sont elles aussi issues d’une iconographie orientale. C’est depuis l’intérieur des appartements de ses grand-mères marocaines, hyper décorés de broderies et d’artefacts au crochet qu’il développe son intérêt pour ces savoir-faire. Et c’est avec cette technique principalement qu’il va réaliser des œuvres où les corps masculins ne sont plus revêtus d’éléments protecteurs mais parés d’attributs que la conception puritaine soustrait aux canons de la virilité. Ces corps doux et mous, ne sont plus en démonstration de puissance conquérante mais en affirmation d’un état d’être où la reconquête de son identité ne passe plus par la domination du corps des autres.
À la fois hommages, mais surtout réappropriations de codes surannés, leurs œuvres respectives deviennent des architectures où les trajectoires culturelles qui ont façonné ces enfants de la « Third Culture Kid » se voient endosser de nouvelles modalités de représentations.
Les deux artistes emploient des couleurs « pop » et acidulées sans pour autant se défaire des motifs témoignant d’une affirmation culturelle. Cet ancrage en lien étroit avec les arts musulmans, s’il a bien sûr nourri leurs constructions culturelles individuelles, n’est pourtant pas déconnecté de la complexité inhérente à la circulation des arts associés aux civilisations islamiques.
Cela pourrait-être ici que se trouve la clef d’accès à leur travail et à cette exposition. Comment re – lire, toute une histoire de l’art islamique, mais aussi culturelle en tant qu’artistes, enfants d’immigrés, dans un pays occidental au sein duquel la vision folklorique et orientaliste de leur culture se conforte dans des stéréotypes évidemment sclérosants.
Car aujourd’hui, la lecture des images ou des histoires qui inspirent Silina Syan et Amine Habki, comme les œuvres qu’iels produisent, ne peut plus se contenter d’une vision manichéiste. Le romantisme, le symbolisme, et les objets qui font leurs travaux, sont autant issus des peintures byzantines sacrées que des images produites par les réseaux sociaux.
Il nous faut donc, comme le font ces artistes dans leurs œuvres, laisser passer entre tout cela une certaine lumière, pour éclairer de nouveaux modes de lecture nos habitudes d’analyses. Une lumière qui, comme l’écrit bien Amine Habki : « passe dans le satin synthétique d’un marché et se reflète sur l’aluminium recouvert d’une peinture dorée, d’un flacon de parfum pour enfin faire briller de mille éclats et créer une nouvelle définition du précieux. »
Léo Marin
[1] Noor (en arabe : نور) signifie « lumière » en arabe et en persan
[2] Enfants de troisième culture : Personnes qui ont été éduquées dans une culture différente de celles de leurs parents ou de leur culture d’origine. Leur première culture est celle d’origine, la deuxième est celle du pays de résidence et la troisième est la fusion de ces deux cultures.
[3] Oleg Grabar, Penser L’art islamique, un esthéthique de l’ornement, Bibliothèque Albin Michel Idées, 1992, Collection « La Chaire de l’IMA» de l’Institut du Monde Arabe.
PLUS D’INFORMATIONS :
// Amine Habki
// Silina Syan
// Dossier de presse
// Noor Reflections (19/04-24/05/2025 | Paris)
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