Par quoi est-elle habitée, me demandais-je, la jeune artiste afghane, Kubra Khademi ? De quelle étoffe sont faites ses œuvres pour être si charnelles, profanes, insolentes, et aussi éthérées, sacrées, insolites ?
De son enfance ? Bien sûr.
De l’Histoire de sa terre natale ? Sans doute.
Mais, une fois me trouvant dans son atelier, regard ébahi et perdu dans l’ocre des corps qu’elle peint, oreilles prêtées aux récits qu’elle me raconte en persan – notre langue maternelle -, et avec son magnifique accent régional, j’oublie tous mes questionnements si attendus. Je m’aperçois qu’elle n’est pas habitée par quoi que ce soit, elle habite ce qu’elle crée. Elle habite ses œuvres, tant elle est présente aussi bien par son ombre d’enfance, que par son corps d’aujourd’hui.
Debout au-dessus de ses énormes tableaux, étalés tous par terre, elle dit qu’elle vit encore dans le récit de cette scène, lorsque l’innocence de son regard s’était heurtée pour la première fois à la nudité des corps qu’elle observait dans le hammam public réservé aux femmes, au fin fond de son village situé en dessous des vallées de Bâmyân. Ce sont ces corps-là qui, au-delà des temps et au-delà des frontières, la ressaisissent, devenant ses modèles chimériques. Elle ne les a pas oubliés ni inventés, ces corps. Elle les a connus en chair et en os, en les détaillant pour les dessiner timidement, infantilement, discrètement, au risque d’être blâmée par ses parents. Elle cachait ses dessins de nus, me dit-elle avec malice, sous son matelas. Mais un jour, ils furent découverts par sa mère qui aussitôt les déchira et punit la toute jeune artiste. Pourtant, elle-même, sa mère, ne parlait à ses copines qu’en employant des « mots en-dessous de la ceinture ». Elle s’exprimait dans un langage cru qui brisait les tabous de la langue sociale. Cette contradiction a inspiré Kubra Khademi qui célèbre aujourd’hui dans ses œuvres le corps maternel dans son dilemme entre désirs et contraintes.
Ainsi offre-t-elle à sa mère un corps charnel, terrestre, humain… Mais sans ombre, volatile. Et, soudainement, ce corps devient éthéré, sans pesanteur aucune, même dans le tableau « Première ligne » dans lequel elle peint une femme – sa génitrice ? -, en train de « s’exonérer » (autrement dit, se soulager). Une audace rare dans sa culture qui interdit de représenter le corps de cette manière organique et intime…
Communiqué de Presse
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