Les artistes, les danseur.se.s et les âmes libres le savent bien, occupés qu’iels sont à faire tomber plus vite la nuit ; cette nuit où il est encore possible d’étirer le temps à l’infini, de tracer des boucles serpentines et de se vivre ensemble comme constellation. Tel serait le désir, et le paysage, dessiné par les sculptures et les installations de Gwendoline Perrigueux : chez elle, tout part souvent d’une fête, de son énergie sensuelle et de ses rencontres aléatoires. Cette fête-là, nous autres, invité.e.s à pénétrer au sein de ses environnements immersifs, nous n’y avons pas assisté. Peu importe, car ce que l’artiste nous adresse, c’est précisément quelque chose comme son essence brute : ses vestiges incantatoires et ses constellations gestuelles, inscrits au cœur de formes indicielles laissées ouvertes à notre propre activation.
Plutôt que de réorienter les signes capitalistes du monde post-industriel vers le champ du plaisir, l’artiste réaffirme la volonté de s’en détacher entièrement. La fête, cette fête finie ou peut-être simplement en attente d’activation, est une promesse d’émancipation. Elle est ce seuil où tout peut basculer, la communauté des corps se reformer, les mondes alternatifs s’inventer – par toute une palette d’affects encore troubles qui jusqu’à nous s’avancent masqués pour mieux nous traverser.
Extrait du texte de Ingrid Luquet-Gad pour l’exposition « Tout feu tout flamme », She Bam! Galerie Laetitia Gorsy, Leipzig, 2021
Gwendoline Perrigueux privilégie à l’approche théorique, l’expérience sensible de l’événement : comment nous nous rassemblons, comment nous faisons corps. Après s’être intéressée à l’idée même de fête au travers de différentes installations et expositions comme Pousses d’été ou Cream corn, elle semble à présent poser plus largement la question du plaisir, y compris sexuel. Le visiteur se déplace comme dans une attente : une vidéo se déroule devant un réceptacle vide, une bande sonore résonne dans l’espace et différents textiles aux allures de vêtements pendus sur cintre semblent attendre qu’on s’en saisisse. La tension théâtrale, cette tension de ce qui pourrait advenir, apparaît dans le travail de l’artiste d’une façon nouvelle : nous ne sommes plus immergés dans le décor de ce qui a été une fête, dans des strates de confettis ou dans les vestiges d’une soirée arrosée mais à l’aube de la jouissance. L’explosion en boucle de boules de confettis en vidéo ne nous renvoie pas à la mélancolie d’un moment qui disparaît, mais à un cycle qui interroge notre rapport au présent et a trait à l’éveil des sens.
Comme une manière de recycler ses propres pièces et d’alimenter son travail, l’artiste a conçu un papier à partir des fibres des confettis d’une fin de soirée et de morceaux de verre lui donnant la texture d’une peau et un aspect vaguement scintillant. Il ne faut pas craindre de s’approcher des pièces pour mieux les saisir, appréhender les contrastes de la matière, par exemple entre le froid de l’acier et la chaleur de la couleur chair, ou encore entre la rigidité du métal et la souplesse des élastomères. Les couleurs pastel qu’utilise Gwendoline Perrigueux nous maintiennent dans une intimité pleine de fantasmes où se rejoue le drame du désir et du regard. Les ombres soulignent les formes humaines de certaines sculptures ; torses, dos ou encore bras et jambes comme un corps éclaté. Nous nous fixons à des détails, des sensations, comme à des fétiches et cette cristallisation un brin surréaliste nous pousse à regarder Velvet Lashes à deux fois. Des cils de velours, un doux coup de fouet, l’ambivalence des mots et des associations de matières fait voir trouble.
Extrait du texte de Henri Guette
The Steidz, 2019
PLUS D’INFORMATIONS :
// Biographie
// Presse
// www.gwendolineperrigueux.com
EXPOSITIONS :
// Velvet Lashes (02/02-09/03/2019)
// Fluffy Wink (28/01-04/03/2023)
Artistes Invités