Tetrachromate
Des matériaux pauvres : résine, silicone, moquette, paraffine, paillette, béton, polyester, bolduc. Puis des objets courants: des bassines, des pailles, des confettis, des parapluies papier, des cordages des plumeaux, des tuyaux, des entonnoirs. Et surtout, ce que l’on remarque d’emblée, des couleurs inhabituelles: jaune citron, rose fuchsia ou pastel, vert pomme, bleu turquoise, magenta. Le tout compose des objets sculpturaux improbables enjolivés d’un maquillage outrancier, customisés pour une étrange soirée festive comme des starlettes se bichonnant pour un festival. Un monde flashy, d’apparence, de pacotille, à la beauté immédiatement séduisante qui souhaite être remarqué, étendu en flaque sur le sol, colonisant les cimaises, grimpant au plafond pour s’approprier les espaces. Des formes que l’on pourrait regarder à l’aide de grosses lunettes carrées, en portant des bijoux fantaisie volumineux, vêtu d’une veste avec des épaules démesurées sur une musique de Madonna. Des œuvres intenses qui résonnent avec l’univers, les codes culturels très années 80, utilisés par Guy Bourdin, Sandy Skoglund, Thierry Mugler ou encore le groupe Memphis. Une époque où le taux de chômage était divisé par deux, où le libéralisme se souhaitait triomphant mais aussi où l’on s’interrogeait sur la post-modernité et la fin des grands récits analysés par Jean-François Lyotard.
On l’aura compris, une génération plus tard, Gwendoline Perrigueux réactive l’esprit de ces années. Elle n’hésite pas à l’instar de Cosima von Bonin ou Shana Moulton, à déstabiliser les codes minimalistes générationnels un peu trop présents sur les cimaises. Comme le fameux noir et blanc, si chic et si cher aux œuvres de nombreuses artistes.
Gwendoline Perrigueux écarte le désenchantement, l’ascétisme, le fonctionnalisme pour mettre en avant la poésie des ambiguïtés formelles ; un imaginaire associatif de matériaux contraires parfois proche des surréalistes. A l’exemple de la vitalité séductrice d’un pylône de béton customisé par des paillettes et qui porte, à son sommet, une houppette postiche, Pousse d’été (2014) ou encore celle d’un mille feuilles géant de moquettes diversement colorées sur roulettes, A emporter (2013). Elle met en scène un système de formes sans aucune hiérarchie, à l’apparence organique et sensuelle, dont la signification nous échappe intentionnellement pour jouer une dramaturgie émotionnelle qui mêle le kitch et le trouble, la séduction et l’amertume, l’humour et le spleen. Des ensembles d’objets aux relations déstructurées, exubérants qui écartent la belle forme et remettent le désir au centre du projet. Comme Génial (2014) un immense smiley à la frimousse jaune que Gwendoline Perrigueux a conçu pour un mural d’exposition. Le menton s’affaisse sur le sol pendant que le coin des lèvres stylisées en rubans dorés, ceux utilisés pour ficeler les paquets cadeaux, rejoint en un sourire forcé, les bords des yeux en résine. Le symbole d’une génération qui, consciente de l’immensité des difficultés présentes, s’efforce de sourire et d’inventer des nouvelles manières d’être et de faire.
Alain Berland
Artistes