Parmi les multiples réponses apportées par les arts au progrès technique du début du XXe siècle, l’œuvre d’Ella Bergmann-Michel est singulière : avec une grande précision, l’artiste renouvelle la manière d’exprimer les rapports d’interdépendance entre éléments mécaniques et organiques. Alors que Fritz Kahn représentait le corps humain comme une usine, ou que des artistes comme El Lissitzky transposaient l’homme et la nature dans des formes géométriques, Ella Bergmann-Michel a créé des images qui intègrent des systèmes complexes et parfois mystérieux. Ses dessins évoquent des circuits électriques, des structures organiques, dans des associations d’idées nourries de surréalisme.
Ces interactions, Ella Bergmann-Michel les développe toujours à partir de sa propre expérience. Le dessin Der grosse Atem (Le grand souffle, 1920) a ainsi été réalisé l’année où l’artiste a quitté Weimar pour s’isoler dans un moulin du Taunus ; c’est également l’année de la naissance de son premier enfant. Dans ce dessin, un train et un cycliste côtoient des insectes vrombissants autour d’une figure humaine désarticulée. De sa main pousse une plante : le corps devient ainsi terreau vital ; l’artiste y ajoute des yeux saillants, un motif récurrent qu’elle a déjà mis en œuvre dans le collage emblématique, Sonntag für Jedermann (Dimanche pour tout le monde), réalisé dès 1917.
Ella Bergmann expose une première fois à l’occasion de l’ouverture du Bauhaus en 1919, puis à nouveau dès 1923. Quand elle expose, c’est la plupart du temps avec son mari, l’artiste Robert Michel, qu’elle a rencontré à l’École Grand-ducale des Beaux-Arts de Saxe à Weimar, où elle s’était inscrite en 1915, alors que seulement deux écoles d’art en Allemagne acceptaient les femmes. Au début des années 1920, ses œuvres créent une avancée supplémentaire vers l’abstraction, sans pour autant renoncer à s’intéresser aux mécanismes du corps, comme le révèlent les dessins B149 et B151 de 1923. Ella Bergmann-Michel suggère des relations fonctionnelles, qu’elle associe à la circulation humaine et aux processus physiques.
Une des curiosités de l’œuvre de cette artiste majeure, réside avant tout l’oubli qu’elle a subi au sein du récit commun de l’histoire de l’art. Parfois redécouverte, mais toujours insuffisamment appréciée, Ella Bergmann-Michel, avec son œuvre multidisciplinaire, qui comprend des dessins, mais aussi des films et des photographies socialement engagés, illustre les mécanismes de l’historiographie artistique. Bien qu’elle disposât d’un excellent réseau relationnel, elle vécut relativement isolée dans le Taunus, n’eut pas le droit de travailler ni d’exposer pendant la Seconde Guerre mondiale et ne fut – probablement aussi en tant que femme – jamais au cœur de l’attention. Ella Bergmann-Michel offre à celles et ceux qui ne la connaissent pas encore une œuvre originale, qui, comme l’un de ses dessins fonctionnels, s’apparente à d’innombrables œuvres d’autres artistes du monde entier, puis s’en détache, pour se révéler finalement tout à fait singulière.
Exposition du 07 mai au 18 juin et du 26 juillet au 20 août 2022
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